Sylvia Day
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Apr 13, 2016  •  J'ai Lu  •  978-2290072028

French Excerpt

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Épisode 1

— Si les anges de la mort étaient tous aussi adorables que toi, les hommes se bousculeraient pour mourir.

Lady Maria Winter referma son poudrier d’un geste brusque. L’homme assis derrière elle la dégoûtait tellement que son simple reflet dans le petit miroir du couvercle suffisait à lui soulever le cœur. Elle respira profondément et feignit de s’intéresser à ce qui se passait sur la scène en contrebas. En fait, elle ne pensait qu’au superbe mâle tapi dans l’obscurité de la loge.

— Votre tour viendra, murmura-t-elle tout en continuant d’afficher un air souverain à l’intention des nombreuses lorgnettes braquées dans sa direction.

Ce soir, elle portait une robe de soie cramoisie dont les manches étaient, à partir du coude, agrémentée d’une délicate dentelle noire. Le rouge était sa couleur préférée. Non seulement parce qu’elle allait bien avec son type andalou – cheveux noirs, yeux noirs, teint mat –, mais parce que c’était un signal. <em>Attention, danger.</em>

« La veuve Winter, chuchotaient les curieux. Deux maris morts… et la liste n’est pas close. »

Ange de la mort. Comme c’était vrai ! Autour d’elle, ils mouraient tous. À l’exception de l’homme qu’elle maudissait le plus au monde.

Le rire bas dans son dos lui donna la chair de poule.

— Il faudra quelqu’un d’autre que toi, ma chère fille, pour m’envoyer dans l’autre monde.

— Pour vous envoyer dans l’autre monde, la lame de mon poignard devrait suffire, grinça-t-elle.

— Dans ce cas-là tu ne reverras jamais ta sœur, et elle commence à être grande.

— Ne me menacez pas, Welton. Une fois qu’Amelia sera mariée, je la retrouverai et vous ne me servirez plus à rien. Pensez-y avant de lui faire la même chose qu’à moi.

— Prends garde, je pourrais la vendre à un marchand d’esclaves, répliqua-t-il avec nonchalance.

Tout en jouant avec ses dentelles, Maria dissimula sa peur sous un léger sourire.

— Vous supposez, à tort, que je ne m’attendais pas à cette menace. Quoi que vous fassiez, je le saurai. Et vous serez un homme mort.

Elle le sentit se raidir et sourit pour de bon. Elle avait seize ans lorsque Welton avait détruit sa vie. Elle attendait le jour de sa vengeance. C’était la seule chose qui lui redonnait du courage lorsque son inquiétude sur le sort de sa sœur menaçait de la paralyser.

— St. John, dit-il.

Le nom plana un instant entre eux. Maria retint son souffle.

— Christopher St. John, le fameux pirate ?

Peu de chose la surprenait encore. À vingt-six ans, elle avait presque tout vu, presque tout fait.

— Il a beaucoup d’argent, reprit-elle, mais je ne peux pas l’épouser sans me compromettre. Après cela, je ne vous servirais plus à rien.

— Il n’est pas question de mariage cette fois-ci. Je n’ai pas encore dépensé tout l’héritage de lord Winter. Il s’agit de rechercher des informations. J’ai des raisons de croire qu’ils ont engagé St. John. J’aimerais savoir pourquoi ils ont besoin de lui et, plus important encore, qui l’a fait libérer de prison.

Maria lissa l’étoffe cramoisie de sa jupe. Ses deux défunts maris étaient des agents de la Couronne, et donc très utiles à son beau-père. De surcroît, ils étaient riches et lui avaient laissé la plus grande partie de leur fortune – pour que Welton en dispose à sa guise.

Maria balaya du regard la salle du théâtre, remarquant au passage les volutes de fumée qui montaient des chandelles et les dorures qui brillaient dans la lumière des flammes. La soprano sur la scène se donnait beaucoup de mal pour se faire remarquer, car personne n’était venue pour elle. Les gens étaient là pour se montrer, rien de plus.

— Intéressant, murmura Maria, qui avait déjà vu un portrait du pirate.

Il était fort séduisant, et largement aussi dangereux qu’elle. On racontait partout ses exploits, dont certains étaient si extravagants qu’on avait peine à y croire. On se demandait combien de temps il pourrait encore échapper à la potence. Les paris étaient ouverts.

— Ils doivent avoir de bonnes raisons pour l’épargner, en effet, reprit-elle. Voilà des années qu’ils cherchent à rassembler des preuves contre lui et maintenant qu’ils les ont, au lieu de le pendre haut et court, ils le remettent en circulation. Cela doit leur fendre le cœur.

— Ce qu’ils ressentent, je m’en moque, riposta sèchement Welton. Tout ce qu’il me faut, c’est quelqu’un qui soit au courant de ce qui se trame.

— Quelle confiance en mes charmes ! commenta-t-elle d’une voix traînante alors même qu’un flot de bile lui emplissait la bouche.

Toutes les choses qu’elle avait été obligée de faire pour servir et protéger un homme qu’elle détestait ! Elle leva le menton. Non, ça n’était pas son beau-père qu’elle servait et protégeait. Elle avait juste besoin qu’il reste en vie parce que, s’il mourait, elle ne retrouverait jamais Amelia.

Welton ignora le sarcasme.

— Te rends-tu compte de ce que peut valoir une telle information ?

Elle répondit d’un imperceptible hochement de tête, se sachant observée. Il était notoire que ses deux maris n’étaient pas morts de mort naturelle. Mais les preuves manquaient. Malgré la certitude de sa culpabilité, elle était accueillie à bras ouverts dans les meilleures maisons. Elle était tristement célèbre et il n’y a rien de tel pour pimenter une réception qu’une pincée d’infamie.

— Comment vais-je le trouver ?

— Débrouille-toi.

Il se leva, la dominant dans l’ombre. Maria n’avait pas peur. À part les menaces sur Amelia, rien ne l’effrayait plus.

Welton prit une de ses boucles et la souleva légèrement.

— Les mêmes cheveux que ta sœur, murmura-t-il. Brillant malgré la poudre.

— Allez-vous-en !

L’écho de son rire persista longtemps après son départ. Combien d’années encore lui faudrait-il le supporter ? Les enquêteurs qui travaillaient pour elle avaient parfois retrouvé la trace d’Amelia, ils l’avaient même entraperçue. Mais rien de décisif. Jusqu’ici, Welton avait toujours eu un coup d’avance.

Et chaque jour qu’elle passait à son service, elle se souillait davantage.

— Elle est petite et menue, mais ne vous y fiez pas, c’est une vipère prête à frapper.

Christopher St. John prit ses aises dans son fauteuil, sans se soucier de l’agent de la Couronne avec lequel il partageait sa loge. Il avait les yeux rivés sur la femme en rouge assise de l’autre côté de la vaste salle. Ayant passé sa vie parmi la lie de la société, il savait reconnaître les gredins.

Avec sa robe chatoyante et son teint d’Espagnole, elle dégageait une impression de chaleur. Ce qui ne l’empêchait pas d’être glaciale. Il avait une mission : l’amadouer, s’insinuer dans ses bonnes grâces, et en apprendre suffisamment sur son compte pour la faire pendre à sa place.

Du vilain travail, certes. Mais le marché était honnête. Il était un voleur et un pirate, elle, une tigresse assoiffée de sang.

— Une bonne douzaine d’hommes travaillent pour elle, précisa le vicomte Sedgewick. Certains surveillent les docks, d’autres sillonnent la campagne. Son intérêt pour notre agence est évident, et dangereux. Avec votre goût pour le grabuge, vous lui ressemblez beaucoup. Je ne vois pas comment elle pourrait refuser votre aide.

Christopher soupira ; la perspective de partager la couche de la veuve Winter n’avait rien de très plaisant. Il connaissait ce genre de femmes, trop soucieuses de leur apparence pour s’abandonner à de joyeuses cabrioles. Son train de vie dépendait de sa capacité à séduire des hommes fortunés. Elle ne devait pas avoir envie de s’agiter outre mesure ni de se mettre en nage. Cela risquerait de la décoiffer.

En bâillant, Christopher demanda :

— Puis-je me retirer, milord ?

Sedgewick secoua la tête.

— Je vous engage à commencer tout de suite. Vous avez une occasion en or, ne la laissez pas passer.

Christopher ravala difficilement la réplique cinglante qu’il avait au bout de la langue. Il était son propre maître, l’agence le découvrirait bien assez tôt.

— Laissez-moi m’occuper des détails, dit-il. Vous voulez que je devienne à la fois l’amant et l’associé de lady Winter, j’en fais mon affaire.

Il se leva et rajusta tranquillement sa tenue.

— C’est une femme qui a recours au mariage pour s’enrichir. De ce point de vue, un célibataire tel que moi ne l’intéressera pas. Je ne pourrai pas commencer par lui conter fleurette. Il faudra d’abord parler affaires et ensuite sceller le contrat au lit. C’est ainsi que l’on procède dans ces cas-là.

— Vous êtes un individu redoutable, observa Sedgewick avec flegme.

Christopher lui jeta un coup d’œil par-dessus son épaule tout en écartant le rideau qui fermait la loge.

— Vous feriez bien de vous en souvenir.

Maria avait l’impression d’être observée. Tournant la tête, elle scruta les loges situées en face d’elle et ne vit rien d’inquiétant. Pourtant, son instinct lui avait souvent sauvé la vie et elle s’y fiait sans réserve.

Quelqu’un s’intéressait à elle et pas par simple curiosité.

Son attention fut attirée par des voix d’hommes dans le corridor derrière elle. À sa place, la plupart des gens n’auraient rien entendu par-dessus la rumeur qui montait de la salle et les vocalises de la chanteuse, mais ses sens étaient aiguisés.

— La loge de la veuve Winter.

— Ah ! répliqua une voix masculine. Ça vaut le coup de prendre des risques pour passer quelques heures entre ses cuisses. Elle est incomparable. Une déesse parmi les simples mortelles.

Maria ricana.

Le plaisir naïf qu’elle avait éprouvé à se savoir plus belle que les autres était mort le jour où son beau-père avait déclaré en la lorgnant : « Toi, ma belle, tu vas me rapporter une fortune. » Ce n’était là qu’une des nombreuses morts qui avaient jalonné sa brève existence.

La première avait été celle de son père bien-aimé. Elle se souvenait de lui comme d’un homme plein d’entrain et de vitalité, toujours d’excellente humeur et qui adorait son épouse espagnole. Puis, il était tombé malade et avait dépéri. Par la suite, Maria avait appris à reconnaître les symptômes d’un empoisonnement. À l’époque, toutefois, elle ne connaissait que la peur et le désarroi, qui s’étaient aggravés quand sa mère l’avait présentée au très bel homme qui devait remplacer son père.

— Maria chérie, avait dit sa mère avec cette pointe d’accent qu’elle n’avait jamais perdue, voici le vicomte Welton. Nous avons l’intention de nous marier.

Elle avait déjà entendu ce nom. Le meilleur ami de son père. Que sa mère souhaite se remarier la dépassait. Son père avait-il donc si peu compté ?

— Il a l’intention de t’envoyer dans les meilleures écoles, expliqua sa mère. Tu auras l’avenir que ton père souhaitait pour toi.

On se débarrassait d’elle. C’était tout ce qu’elle avait entendu.

Le mariage eut lieu et lord Welton devint le chef de famille. Il les emmena chez lui, au milieu des landes, dans une demeure qui ressemblait à un château médiéval. Maria la prit en horreur. Elle était glaciale, ouverte à tous les vents, et assez effrayante, tout le contraire de la belle maison de brique rouge dans laquelle elle avait vécu auparavant.

Le temps de faire une fille à sa nouvelle épouse, et Welton les quitta. Maria alla en pension et lui à Londres, pour y dilapider l’argent de son père dans les tavernes, les bordels et les cercles de jeu. Sa mère pâlit, maigrit ; elle commença à perdre les cheveux. Maria ignora tout de sa maladie jusqu’au dernier moment.

On ne l’envoya chercher que lorsque la fin fut proche et certaine. En revenant chez son beau-père, elle constata que la vicomtesse Welton n’était plus que l’ombre d’elle-même, sa vigueur diminuant au même rythme que leur fortune.

— Maria, ma chérie, murmura sa mère sur son lit de mort en l’implorant du regard. Pardonne-moi. Welton a été si gentil après la mort de ton père. Je n’ai pas vu au-delà des apparences.

— Tout va s’arranger, maman, dit Maria sans y croire. Vous allez guérir et nous le quitterons.

— Non. Tu dois…

— Je vous en prie, n’en dites pas plus. Vous devez vous reposer.

Sa mère l’agrippa avec une force surprenante pour une femme aussi malade.

— Tu dois l’empêcher de faire du mal à ta sœur. Elle a beau être sa fille, il n’hésitera pas à se servir d’elle comme il s’est servi de moi. Et comme il a l’intention de se servir de toi. Amelia n’a pas ta force. Toi, tu tiens de ton père.

Elle avait regardé sa mère avec désarroi. Depuis dix ans que durait ce mariage, Maria avait appris beaucoup de choses, et surtout que le beau visage de Welton dissimulait le diable en personne.

— Je suis trop jeune, murmura-t-elle, en larmes.

Elle passait presque tout son temps au pensionnat, où l’on s’employait à faire d’elle une femme que Welton pourrait utiliser un jour. À l’occasion de ses rares visites, elle avait vu comment le vicomte humiliait sa mère avec ses sarcasmes. Les domestiques lui avaient parlé d’éclats de voix, de cris. Ils avaient vu des traces de coups. Des taches de sang. La vicomtesse gardait le lit pendant des semaines après le départ du vicomte.

La petite Amelia se retranchait dans ses appartements quand son père était là, effrayée et solitaire. Aucune gouvernante ne restait longtemps.

— Non, tu n’es pas trop jeune, murmura Cecille, les lèvres décolorées, les yeux rouges. Quand je serai partie, je continuerai à t’aider de toutes mes forces. Tu sentiras ma présence, ma douce Maria. La mienne et celle de ton père. Nous te protégerons.

Ces paroles furent son seul soutien durant les années qui suivirent.

— Est-elle morte ? s’enquit Welton lorsque Maria sortit de la chambre.

Son regard était absolument dépourvu d’émotion.

— Oui.

Le souffle saccadé, les mains tremblantes, elle attendit.

— Prends les dispositions que tu voudras.

Elle hocha la tête fit demi-tour et s’éloigna, le froufrou de ses lourdes jupes de soie résonnant dans le morne silence de la maison.

— Maria ?

La voix de Welton flotta dans son sillage, menaçante.

Elle s’immobilisa, pivota sur ses talons et étudia d’un œil neuf son beau-père si malfaisant. Ses larges épaules, ses hanches étroites et ses longues jambes plaisaient à beaucoup de femmes. En dépit de la froideur de son caractère, c’était le plus bel homme qu’elle ait jamais vu, avec ses yeux verts, ses cheveux noirs et son sourire canaille. Un don du diable pour compenser la noirceur de son âme.

— Tu informeras Amelia, veux-tu ? Je suis en retard, je n’ai pas le temps.

<em>Amelia</em>.

Maria était accablée à la pensée de l’épreuve qui l’attendait, épreuve à laquelle s’ajoutait l’insupportable douleur d’avoir perdu sa mère. Elle faillit s’écrouler, anéantie par les paroles de son beau-père. Mais la force promise par sa mère lui permit de lever le menton et de défier Welton.

Un air bravache qui fit rire Welton.

— J’ai toujours su que tu serais parfaite, que tu valais la peine que je supporte ta mère pendant si longtemps.

Sur ce, il tourna les talons et descendit le grand escalier, dédaignant complètement sa femme.

Qu’allait-elle pouvoir dire à sa sœur pour atténuer le choc ? Amelia n’avait aucun des bons souvenirs auxquels Maria se raccrochait. À présent, la pauvre petite était orpheline, car, pour ce que son père s’occupait d’elle, il aurait pu tout aussi bien être mort.

— Bonjour, ma puce, dit-elle doucement en entrant dans la chambre de sa sœur, se préparant à la collision avec le petit corps qui se ruait vers elle.

— Maria !

Serrant sa sœur contre elle, Maria l’entraîna vers le lit, couvert d’une courtepointe de soie bleu foncé qui contrastait plaisamment avec les murs tendus de damas bleu clair. Elle berça l’enfant qui sanglotait et pleura en silence. Elles étaient seules au monde désormais.

— Qu’allons-nous faire ? murmura Amelia.

— Survivre, répondit Maria. Et rester ensemble. Je te protégerai. N’en doute jamais.

Elles s’endormirent et, lorsque Maria se réveilla, Amelia était partie.

Et sa vie avait changé à jamais.

Maria eut soudain envie de bouger. Elle se leva, écarta le rideau et sortit dans le corridor.

— Ma voiture, lança-t-elle à l’un des deux valets qui montaient la garde et dont la mission était de tenir à l’écart les importuns.

Il s’éloigna en toute hâte.

C’est alors que quelqu’un la bouscula par-derrière. Elle tituba, puis se retrouva plaquée contre un corps musclé.

— Je vous demande pardon, murmura une voix délicieusement rauque, si près de son oreille qu’elle en perçut les vibrations.

Elle se figea, retint son souffle, tous les sens en éveil. L’une après l’autre, elle recensa ses impressions – un torse puissant contre son dos, une main sur sa taille, une odeur virile mêlée à un parfum de bergamote. Au lieu de la laisser aller, il la serra plus fort.

— Lâchez-moi, ordonna-t-elle à voix basse.

— Quand cela me plaira.

Il posa sa main nue sur son cou, communiquant sa chaleur au collier de rubis qui ornait sa gorge. Le bout d’un doigt calleux caressa l’endroit où battait son pouls, qui s’accéléra follement. Il agissait avec un aplomb extraordinaire, sans la moindre hésitation, comme s’il avait le droit de la toucher où et quand il en avait envie, y compris en public. Pourtant, il ne manquait pas de douceur. Elle aurait pu se libérer facilement si elle l’avait voulu, mais elle était sans force.

Elle fit discrètement signe à son valet de ne rien tenter pour la secourir. Les yeux écarquillés, ce dernier regardait quelque chose au-dessus d’elle, sa pomme d’Adam s’agitant avec frénésie tandis qu’il déglutissait. Puis il détourna la tête.

Elle soupira. Apparemment, elle allait devoir se sauver toute seule.

Comme toujours.

Son geste suivant fut dicté autant par l’instinct que par la réflexion. Elle posa la main sur le poignet de l’homme et lui fit sentir la pointe de la lame qu’elle cachait dans son bracelet. Il se figea. Puis éclata de rire.

— J’adore les bonnes surprises.

— Je ne peux pas en dire autant.

— Vous avez peur ? demanda-t-il.

— De tacher ma robe avec votre sang ? Oui, répondit-elle, pince-sans-rire. C’est une de mes préférées.

— Ah, mais la couleur se marierait mieux avec le sang sur vos mains…

Il s’interrompit, le temps de lui caresser le lobe de l’oreille du bout sa langue, lui arrachant un frisson alors même que sa peau s’échauffait.

— Et sur les miennes, acheva-t-il.

— Qui êtes-vous ?

— Celui dont vous avez besoin.

Maria prit une profonde inspiration, écrasant ses seins contre l’avant-bras de l’homme. Les questions se bousculaient dans son esprit, trop nombreuses pour qu’elle puisse en formuler une seule.

— J’ai tout ce qu’il me faut.

Lorsqu’il la relâcha, il en profita pour caresser son décolleté, sa main semant des frissons dans son sillage.

— Si vous changez d’avis, dit-il d’une voix suave, venez me trouver.

Il recula et elle pivota en faisant tournoyer ses jupes.

Elle parvint à dissimuler sa surprise. Les gravures dans les journaux ne lui rendaient pas justice. Cheveux blond clair, teint hâlé, yeux d’un bleu lumineux et traits d’une finesse quasiment angélique. Ses lèvres, quoique fines, étaient dessinées de main de maître. L’ensemble était si remarquable que c’était désarmant. On avait envie de lui faire confiance, sauf que son regard, aussi intense que froid, incitait à penser qu’on aurait tort.

Maria remarqua que les gens les observaient. Elle ne se donna pas la peine de les rappeler à l’ordre d’un regard. L’homme qui se tenait devant elle avec tant d’arrogance requérait toute son attention.

— St. John.

Avançant un pied, il s’inclina et sourit, mais son sourire n’atteignit pas ses yeux – des yeux magnifiques, rendus plus intenses par les cernes qui les entouraient. Cet homme-là ne dormait ni bien ni beaucoup.

— Je suis flatté que vous m’ayez reconnu, dit-il.

— Qu’est-ce qui me manque, selon vous ?

— Peut-être ce que vos hommes cherchent.

Cette fois, elle ne réussit pas à masquer sa surprise.

— Que savez-vous ?

— Beaucoup trop de choses, répondit-il en la jaugeant du regard. Et pas assez. Ensemble, nous pourrions sûrement atteindre nos buts.

— Et quel est le vôtre ?

Pourquoi venait-il la voir juste après Welton ? Ce n’était sûrement pas une coïncidence.

— La vengeance, répondit-il.

Le mot fut articulé avec une telle absence d’émotion qu’elle se demanda s’il n’était pas aussi mort qu’elle à l’intérieur. Pour un criminel comme lui, c’était inévitable. Pas de remords, pas de regrets, pas de conscience.

— L’agence s’est trop souvent mêlée de mes affaires, ajouta-t-il.

— Je ne vois pas du tout ce que vous voulez dire.

— Non ? Dommage !

Il la contourna, se pencha au passage pour lui chuchoter à l’oreille :

— Je reste à votre disposition, si jamais la mémoire vous revient.

L’espace d’un instant, elle refusa de se retourner pour le regarder partir. Un instant seulement. Et puis, elle l’étudia avec attention. Aucun détail ne lui échappa : sa haute taille, ses larges épaules, son habit de satin, ses souliers à talons, Habillé comme il l’était, il ne pouvait se fondre dans la foule qui se pressait dans le corridor. Sa veste et ses culottes jaune pâle contrastaient avec les costumes sombres des autres spectateurs. Il lui fit l’effet d’un dieu solaire, d’une présence rayonnante. Malgré sa démarche désinvolte, il avait l’air dangereux, à tel point que les hommes s’écartaient sur son passage.

Elle avait entendu parler de son charme. Maintenant, elle comprenait.

Elle se retourna vers son valet de pied.

— Suis-moi.

— Milady, dit-il plaintivement, je vous en prie, pardonnez-moi.

Le pauvre garçon ne semblait pas aller bien. Ses cheveux noirs lui tombaient sur les yeux et encadraient son visage poupin. Sans sa livrée, il aurait eu l’air du gamin qu’il était.

Elle haussa les sourcils.

— Pour quoi ?

— Je… je ne suis pas venu à votre aide.

Elle se radoucit. Tendant la main, elle lui effleura l’avant-bras, un geste qui le fit sursauter.

— Je ne suis pas en colère contre toi. Tu as eu peur. La peur ne m’est pas étrangère.

— Vraiment ?

Elle soupira et lui pressa le bras avant de le relâcher.

— Vraiment, confirma-t-elle.

Il lui sourit avec tant de reconnaissance qu’elle en eut le cœur serré. Depuis combien de temps n’avait-elle pas été aussi… franche ? Elle se sentait si étrangère à tout, parfois.

<em>La vengeance.</em> C’était sa seule raison de vivre. Elle en avait le goût dans la bouche matin et soir. C’était elle qui faisait circuler son sang dans ses veines et l’air dans ses poumons.

Et Christopher St. John allait peut-être l’aider à atteindre son but.

Quelques instants auparavant, elle le voyait comme une corvée dont il s’agissait de se débarrasser au plus vite. À présent, les perspectives qui s’ouvraient à elle apparaissaient intéressantes, pour ne pas dire séduisantes. Elle avait l’intention d’utiliser St. John à son profit. Ce ne serait pas un jeu d’enfant, mais elle était sûre d’y parvenir.

Pour la première fois depuis longtemps, elle sourit.

Christopher s’éloigna en sifflotant, sentant peser sur lui le regard de lady Winter. Il n’avait pas prévu de lui parler. Il avait juste espéré la voir de près et compter ses gardes du corps. Ç’avait été un heureux hasard qu’elle choisisse de sortir de sa loge à ce moment-là. Il ne l’avait pas seulement rencontrée, il l’avait touchée, tenue dans ses bras, humée.

Il ne craignait plus de s’ennuyer dans son lit. Surtout après avoir senti la pointe de sa lame. Mais elle n’avait pas seulement piqué son intérêt sur le plan charnel. Elle était plus jeune qu’il ne l’avait supposé. Sa peau sous le fard et les mouches de taffetas était exempte de rides et ses beaux yeux noirs trahissaient un mélange de lassitude et de curiosité. Lady Winter n’était pas complètement blasée. Comment était-ce possible alors qu’elle passait pour avoir tué deux hommes au moins ?

Il avait bien l’intention de le découvrir. Les agents du roi la voulaient, elle, plus encore qu’ils ne le voulaient, lui. Cela en soi l’intriguait.

En sortant de l’opéra, Christopher remarqua une voiture noire qui arborait les armoiries des Winter. Il s’arrêta à côté. Il fit un geste discret et attendit le hululement qui signifiait que ses ordres avaient été bien compris par au moins l’un des hommes qu’il avait postés dans les parages. Le carrosse serait suivi jusqu’à ce qu’il en décide autrement. Où qu’elle aille, il voulait en être informé.

— Je serai à la réception chez les Harwick le week-end prochain, dit-il au cocher qui le regarda avec des yeux ronds. Fais en sorte que ta maîtresse le sache.

Le vieil homme hocha vigoureusement la tête et Christopher eut un sourire satisfait.

Pour la première fois depuis longtemps, il avait quelque chose à espérer.

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